Les
abrutis.
Pourquoi
cet abruti me regardait-il ? Peut-être s'imaginait-il que
j'avais l'intention de lui offrir la réponse sur un plateau?
Quelle touchante naïveté ! Cet idiot aux paupières
tombant sur un regard éteint et inexpressif, cet empoté
aux membres patauds et aux cheveux rêches avait l'illusion de
croire non seulement que j'étais une encyclopédie en
libre consultation mais également -et cela me hérissait
nettement plus- que j'étais de bonne humeur ! Le crétin
! Tandis que je me jurai de l'ignorer délibérément
s'il m'adressait la parole, ses lèvres boursouflées
formulèrent quelques mots si incohérents que j'eus du
mal à reconstituer une phrase :
« L'heure
te plaît. »
Sans
respecter ma décision d'ignorer ce débile gravement
atteint, je lui répondis (il est vrai un peu niaisement) :
« Tu
as oublié des mots ce qui fait que je ne comprends pas ta
phrase, désolée. »
Pourquoi
se casser la tête à parler intelligemment avec des
abrutis profondément crétinisés par leur lourde
et puante flemmardise, alors que jouer au plus idiot fonctionne
tellement mieux avec ce genre d'individus ?
« Ah
ah ! Vachement drôle ! Donne moi l'heure s'te plaît ou
j'ménerve grave. »
Le
voilà qui, copiant sur ses amis ou sur je ne sais trop quelle
personnalité, se mettait à parler en mangeant ses mots
sans les mâcher pour les recracher en fin de phrase sous forme
de ramassis de lettres sans sens.
« Pourquoi
« grave » ? » lui demandais-je donc.
« Eh,
fais pas chier ! T'as une montre, tu t'en sers ! »
s'énerva t-il.
« Rajoute
« s'il te plaît » et tu passeras en CP »
répondis-je entre mes dents.
J'eus
le droit, pour toute réponse, à un « hein
? » stupide venu du fond de sa gorge. Soupirant, je lui
lançais l'heure qu'il me réclamait avec tant de
désespoir avant qu'il ne replonge dans les méandres de
sa passivité jusqu'à la fin de l'heure.
Sans
doute étais-je un peu trop cruelle avec ce garçon
pourtant indulgent avec moi. Mais il m'énervait. Pas lui en
particulier, les sans-cerveau en général. Enfin, ils
avaient peut-être un cerveau, mais ne s'en servaient pas à
bon escient. Peut être même que certains ne s'en
servaient pas du tout. Bref, toujours est-il que les fusées
traversant la classe, les cours décousus et les engueulades
collectives pour deux ou trois idioties perpétuées par
deux ou trois idiots, j'en avais ras la cafetière et ça
allait péter si je ne me défoulais pas sur les deux ou
trois idiots en question. C'était le premier affrontement
d'une longue liste pour sauver les quelques neurones restant dans le
crâne de ces pauvres bougres en les faisant travailler un
minimum. Parce que la playstation ça va bien cinq minutes mais
c'est quand même pas génial en terme de réflexion.
Aider
ces garçons m'avait vaguement traverser l'esprit, mais à
présent, ça me rebutait. Après tout, n'était-ce
pas ce que faisaient les profs à longueur d'année ? Et
que récoltaient-ils ? Non-respect, copies blanches, réponses
délibérées aux menaces... Et encore, ils étaient
payer. Alors me coltiner ces gars là pour leur faire rentrer
des formules de maths à coups de marteau dans la boîte
crânienne, me ramasser des fusées imprégnées
de colle et des avions en papier pliés de travers, et tout ça
gratuitement ? Non merci, ça ira. Restez dans votre merde les
mecs. Ce n'est pas moi qui vous en sortirai.